Partie II: La Commission Consultative de Révision de la Constitution dans l’Oeuvre d’Elaboration de la Constitution Marocaine de 2011: Problématique des Travaux Préparatoires

Professeur Abdelaziz Lamghari Moubarrad

Association Marocaine de Droit Constitutionnel

Note de rédacteurs: Ce billet est le deuxième de deux postes écrits par Professeur Mourbarrad portant sur le problématique de travaux préparatoires de la constitution marocaine. Vous pouvez lire le premier post ici.

3. En quoi ont consisté les travaux de la Commission ? C’est un élément qui conduit à énumérer les composantes de ces travaux, puis à identifier parmi ces composantes celles qui pourraient s’apparenter à des TP et qui, au fond, ne pourraient pas l’être au vu des considérations qui viennent d’être exposées, mais aussi pour les raisons qui seront explicitées. Dans ce sens, on pourrait distinguer entre composantes techniques et composantes délibératives.

3.1. Dans les composantes techniques, il y a tous les éléments de caractère oral ou écrit ou simultanément les deux à la fois, qui ont été reçus ou produits par la Commission en vue d’éclairer son travail de réflexion, de débat et de rédaction. Il s’agit d’un ensemble d’inputs qui pourraient être qualifiés de pré travaux. On peut y ranger :

a- Des rapports internes : Il s’agit de rapports préparés par des membres de la Commission, sur demande de son Président, comme entrée en matière des travaux, avant le lancement des auditions avec les différentes parties concernées. Huit rapports ont été présentés dans ce sens. Ils ont porté (soit en arabe, soit en français) sur la notion de mémorandums ; les droits fondamentaux ; la gestion constitutionnelle du pluralisme culturel ; la mise en forme de la séparation des pouvoirs ; le rapport entre la religion et le politique ; la question constitutionnelle au Maroc ; la pratique constitutionnelle au Maroc et, enfin, la bonne gouvernance. Deux papiers en plus ayant précédé ces rapports, ont eu pour objet de procéder à une lecture  « préliminaire » (papier en arabe) et de « cadrage » (papier en français) du discours Royal du 9 mars 2011. 

Grâce à l’effort personnel des membres, qui en sont les auteurs, tous ces documents ont été exposés devant la Commission et discutés par ses membres, sans déductions définitives et sans procès-verbaux dressés pour les futurs débats et délibérations de la Commission. Il s’agit, au fond, d’un éclairage académique, jugé utile, en attendant la préparation matérielle des séances des auditions.

b- Les mémorandums et autres documents : Il s’agit principalement des mémorandums émanant des partis politiques et des syndicats auditionnés, mais il s’agit aussi de documents divers présentés par différents entités ou tout simplement par des personnes individuellement, sur la base d’un souci de  citoyenneté ou de mise en œuvre d’une compétence supposée utile. 

A ce niveau, il n’y a rien à examiner dans la logique des TP. Au vu de la neutralité requise de la Commission, totalement respectée par ses membres, l’examen en question ne pouvait être entrepris qu’à travers le traitement par elle de ces documents dans le cadre de son travail interne, à la fois en tant que groupes de travail et que séance plénière. C’est ce qu’il convient de vérifier succinctement dans le cadre de la fonction délibérative de la Commission.

3.2. Dans les composantes délibératives, deux éléments sont à prendre en considération : d’une part, les groupes de travail de la Commission qui élaborent un travail de préparation et de proposition ; d’autre part, la Commission elle-même et ses débats en vue d’examiner  et de trancher. Chacun de ces deux niveaux doit être apprécié en rapport avec la notion de TP.

a- Les groupes de travail constitués dès les premières réunions de la Commission, ont été au nombre de six. Par ailleurs, sans constituer un groupe de travail proprement dit, une sorte de cellule technique, formée de membres constitutionnalistes de la Commission, s’est chargée autour du Président, à la fin des travaux des groupes de travail, de rédiger les propositions relatives aux Dispositions transitoires et finales du projet de Constitution, délibérées par la suite par la Commission. Vus sous l’angle de leur travail, les groupes ne recoupent en aucune manière la question des TP. Aucun élément de leur fonctionnement ne permet d’emprunter cette  optique.  L’explication d’ensemble à cette appréciation est que tous les actes écrits qu’ils ont accompli l’ont été sur demande de la Commission (via son Président) et ont été destinés aux délibérations de la Commission. Chaque groupe de travail se réunissait et travaillait en interne à sa manière, tout en coordonnant avec le Président de la Commission. 

L’élément tangible des groupes reste cependant les comptes rendus de leur travail de fond, destinés à la plénière de la Commission. Il s’agit de rapports élaborés à partir du suivi, dans le cadre des séances d’audition, des propositions des différentes parties auditionnées qui se rapportent au thème dont le groupe a la charge, pour donner suite, en deuxième lieu en la matière, à la rédaction documentée et motivée de propositions sous forme de dispositions constitutionnelles. C’est ce deuxième volet qui constitue le rapport objet de soumission à la Commission pour à la fois discussion, délibération et décision. Les rapports, dans ce sens, ont connu une véritable navette entre la Commission et les groupes de travail concernés, nécessitant de la part des groupes de travail plusieurs versions des contenus présentés. 

Les réunions des groupes de travail n’ont pas fait  l’objet d’enregistrement audio, à la différence de celles de la Commission, et les échanges au sein de ces réunions n’ont pas été consignés dans des procès-verbaux en bonne et due forme. Aucune référence au sens institutionnel ne peut donc être faite aux « travaux » des groupes de travail.

b- La Commission est donc le creuset où les travaux « invisibles » des groupes de travail deviennent visibles grâce à la discussion et à la délibération. D’un point de vue descriptif, les échanges oraux durant les différentes séances qui ont été organisées à cet effet, se sont terminés toujours par le choix d’une option. 

La Commission dispose matériellement de travaux qui se concrétisent en amont dans les rapports élaborés par les groupes de travail et en aval, au sein de la Commission, dans les délibérations enregistrées en audio de ces rapports. Cette somme matérielle ne constitue pas, cependant à notre sens des TP, au sens de documents ou d’enregistrements revus et validés dans un PV officiel, pouvant permettre de dégager un point de vue  authentique  et dernier de la Commission. De ce fait, ils peuvent constituer une référence entre les mains des académiciens, des acteurs concernés et du juge constitutionnel pour éclairer ou trancher une interprétation, à propos de telle ou telle disposition de la Constitution. Leur usage sous cette forme, s’il peut avoir lieu, ne serait qu’un usage personnel sous la responsabilité de l’utilisateur.   

Il y a d’abord comme explication à cette appréciation, la nature consultative de la Commission et l’existence, en particulier, en parallèle à elle du Mécanisme politique précité, conçu pour intervenir également dans le processus d’élaboration du projet de Constitution. En plus des facteurs déjà évoqués, d’autres facteurs peuvent servir ici comme un complément d’explication. A partir de l’enregistrement (audio) des débats délibératifs de la Commission, et en l’absence d’un procès-verbal validé par son assemblée, les membres de la Commission, ou certains d’entre eux au moins, sont en droit de considérer que ce qu’ils avaient déclaré mérite contextualisation, clarification ou même rectification, et que parfois, ou même fondamentalement, ces déclarations étaient le produit d’une réflexion à haute voix et que les mots utilisés n’étaient pas les plus appropriés, ou que tout simplement, le bref moment imparti pour intervenir ne suffisait pas pour tout expliquer, argumenter ou justifier. II y a aussi, à ce niveau, deux considérations à prendre en compte: d’une part, l’enregistrement n’a pas été un procédé systématique : soit que certains membres ont omis de mettre en « On » l’enregistreur devant eux, soit que d’autres ont choisi de le mettre en « Off » au moment d’exprimer telle ou telle idée ou telle ou telle opinion; d’autre part, comment apprécier la place et l’utilité de ces « blancs » ou lacunes dans le dispositif d’ensemble des délibérations ? Cependant, l’essentiel réside ailleurs : là où se niche le sens «caché» des dispositions à expliciter selon la logique des TP, ne réside nullement dans lesdites déclarations (enregistrées ou non enregistrées) qui restent personnelles, mais dans le mouvement et le recoupement d’ensemble qui aboutit, à partir des appréciations échangées, à arrêter l’option validée comme option définitive par l’acte délibératif de la plénière de la Commission.

Par ailleurs, la dimension comparative concernant les TP, notamment leur sanction par des procès-verbaux officiels, nous a permis de voir  l’inapplicabilité de cette notion au cas marocain. C’est particulièrement le cas français qui nous a servi de référence, dans la mesure où ce fut un Comité consultatif  constitutionnel et non une assemblée constituante qui a élaboré la Constitution française de 1958. Le travail officiel de ce Comité, rendu public, a fait l’objet de plus d’une publication, soit partielle, soit intégrale (Documentation française, 1960 - 225 pages ; ou cette référence académique : Didier Maus, Louis Favoreu, Jean-Luc Parodi L'écriture de la Constitution de 1958, 1999, Economica).

Bien entendu, une autre notion autre que les TP peut être évoquée, les archives constitutionnelles,http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes1/PASSELECQ.pdf 

Les travaux de la Commission marocaine inclassables donc dans la catégorie TP, constituent sans doute des archives constitutionnelles. C’est à ce titre qu’elles peuvent, s’il y a lieu, être consultées, sans pouvoir servir, à notre sens, de documents où se cacherait l’intention structurée et authentique de la Commission Consultative de Révision de la Constitution, qui est en définitive une entité consultative, nullement exclusive. 

Professeur Lamghari Moubarrad est le président de L’Association Marocaine de Droit Constitutionnel

Citation Suggérée: Abdelaziz Lamghari Moubarrad ‘Partie II: La Commission Consultative de Révision de la Constitution dans l’Oeuvre d’Elaboration de la Constitution Marocaine de 2011: Problématique des Travaux préparatoires’ IACL-AIDC Blog (12 October 2018) https://blog-iacl-aidc.org/blog/2018/10/11/partie-ii-la-commission-consultative-de-rvision-de-la-constitution-dans-loeuvre-delaboration-de-la-constitution-marocaine-de-2011-problmatique-des-travaux-prparatoires